Questions sur le krill
Lors d'un atelier sur le krill ayant réuni les parties prenantes, organisé en 2014 par le British Antarctic Survey (BAS), le fonds mondial pour la nature (WWF) et le programme Integrating Climate and Ecosystem Dynamics (ICED), les participants ont entre autres été invités à soumettre des questions sur le krill et la pêcherie de krill. Les questions les plus fréquemment posées ont été regroupées dans une Foire aux questions (FAQ). Le président du Comité scientifique, le responsable du Groupe de travail sur le contrôle et la gestion de l'écosystème (groupe de la CCAMLR expert sur krill) et le directeur scientifique du secrétariat de la CCAMLR ont répondu à ces questions en espérant que leurs réponses seraient utiles.
Des réponses diverses pourraient être apportées à chacune des questions. Celles que nous proposons ne sont pas forcément les réponses de la CCAMLR, et elles ne vous sont pas données au nom de la Commission. Elles reposent uniquement sur nos connaissances sur le krill et sa pêche. Si vous avez d'autres questions ou de meilleures réponses que celles que nous vous offrons, veuillez les envoyer à l'adresse : ccamlr [at] ccamlr [dot] org. Les informations que nous présentons ici seront sans cesse revues et enrichies au fur et à mesure de l'évolution des connaissances.
Christoper Jones, So Kawaguchi et Keith Reid
Pourquoi le krill est-il si important ?
Le krill est extrêmement important car il constitue l’élément principal du régime alimentaire de la plupart des prédateurs marins (manchots, phoques, cétacés, poissons) de l'océan Austral. En même temps, il est lui-même le principal consommateur de phytoplancton dans la production primaire à son niveau. Son rôle est important car il reconditionne de grandes quantités de production primaire dans son propre corps en ingérant du phytoplancton de taille microscopique pour le mettre à la disposition des prédateurs marins. Ce rôle lui vaut d’être appelé l’espèce fondamentale de l'écosystème de l'océan Austral. Le krill antarctique est par ailleurs considéré comme l’espèce animale la plus abondante de la planète.
Quels sont les pays pêcheurs de krill et combien de krill capturent-ils ?
Ces cinq dernières années, huit Membres de la CCAMLR ont pêché du krill (voir tableau 1). La Norvège a effectué le plus gros des captures (58%), suivie de la République de Corée (19%) puis de la Chine (10%).
Pays | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 |
---|---|---|---|---|---|
Chili | - | 2 454 | 10 662 | 7 259 | 9 601 |
Chine | 1 956 | 16 020 | 4 265 | 31 944 | 54 303 |
Japon | 29 919 | 26 390 | 16 258 | - | - |
République de Corée | 45 648 | 30 642 | 27 100 | 43 861 | 55 414 |
Norvège | 119 401 | 102 460 | 102 800 | 129 647 | 165 899 |
Pologne | 6 995 | 3 044 | - | - | - |
Fédération de Russie | 8 065 | - | - | - | - |
Ukraine | - | - | - | 4 646 | 8 928 |
TOTAL | 211 984 | 181 010 | 161 085 | 217 357 | 294 145 |
Ces données (et d'autres) sont librement disponibles dans le Bulletin statistique de la CCAMLR.
Pour fixer les limites de capture de krill, on a recours à des modèles mathématiques simulant une population de krill dont on fait une projection sur une période de 30 ans. Ces projections sont répétées des milliers de fois, en variant chaque fois des informations essentielles, telles que le nombre d'individus de krill entrant dans la population (ce que les scientifiques appellent le recrutement), le taux de croissance du krill et le nombre d'individus survivant d'une année à l'autre. Elles simulent toute une gamme de futurs scénarios possibles pour la population de krill et, en introduisant les effets d'une pêcherie sous différents niveaux de capture, il est possible de déterminer quelle quantité de krill peut être prélevée sans qu'il y ait d'impact irréversible sur la population de krill.
Quel niveau d'information nous permettra de gérer efficacement la pêcherie de krill (disposons-nous de ce niveau d'information) ?
Il est peut-être préférable de formuler la question ainsi : « Comment pouvons nous être sûrs que nous gérons les pêcheries sur la base d'informations disponibles ou dont il est réaliste de penser qu'elles peuvent être collectées ? » La CCAMLR suit une approche de la gestion qui repose sur l'information effectivement détenue et qui privilégie la prudence lors de la prise de décisions (il s'agit de « l'approche de précaution »).
À titre d'exemple, on peut citer le « seuil déclencheur » (de 620 000 tonnes) applicable actuellement à la pêche au krill. La limite de capture dans l'ensemble de la mer du Scotia s’élève à 5,6 millions de tonnes, mais la pêcherie ne peut dépasser le seuil déclencheur tant qu'il n'aura pas été convenu d'un mécanisme de répartition de l'effort de pêche dans toute la zone. En effet, si cet effort reste concentré dans quelques secteurs, les fortes captures pourraient avoir une incidence sur l'écosystème local. Si les données sur la pêche et l'écosystème confirment la viabilité des captures à petites échelles, celles-ci pourraient alors être accrues et dépasser le seuil déclencheur. Il est important de noter qu'à défaut d'informations scientifiquement solides, la pêcherie ne sera pas développée au-delà du seuil déclencheur de précaution.
En 2015, la Commission a décidé qu'il fallait des méthodes de gestion indépendantes de données risquant de ne pas être disponibles aux échelles spatio-temporelles requises pour une approche donnée de la gestion (p. ex. estimations régulières de la biomasse totale du krill et de la demande totale en krill des prédateurs dans l'ensemble de la mer du Scotia). Cela peut sembler assez évident, mais il s'agit ici de concevoir des modes de gestion qui soient pratiques et qui puissent être réellement mis en œuvre.
Que se passait-il avant l'existence de la CCAMLR ?
S'agissant de la pêche, l'histoire de l'océan Austral est plutôt en dents de scie. La chasse au phoque, qui a commencé dans le secteur subantarctique à la fin du 18e siècle, a connu un cycle rapide de prospérité puis d'effondrement. Puis est venue la chasse à la baleine qui a suivi le même cycle. Avec l'effondrement des populations de baleines, certaines nations se sont tournées vers le krill antarctique pour établir une pêcherie. On s'est alors inquiété des répercussions catastrophiques pour l'écosystème marin de l'Antarctique que causerait une pêcherie de krill suivant un cycle en dents de scie. C'est cette crainte, ainsi qu'une préoccupation pour les pêcheries de poissons, qui a mené à la création de la CCAMLR.
Comment la CCAMLR engage-t-elle les scientifiques, les pêcheurs et les ONG dans la prise de décisions ?
Chacun des 25 Membres de la CCAMLR décide de la composition de sa délégation à chacune des réunions selon les sujets débattus. Toutes les délégations de la CCAMLR comprennent des scientifiques et certaines, des pêcheurs (rappelons que de nombreux Membres de la CCAMLR ne sont pas engagés dans des activités de pêche au krill en Antarctique pour le moment). Un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) sont également représentées aux réunions du Comité scientifique et de la Commission. La prise de décisions dans le cadre de la CCAMLR étant consensuelle, les Membres doivent donc être unanimes dans leurs décisions pour qu'elles soient applicables. Le fait que les décisions sont prises ou non par la CCAMLR reflète le spectre des opinions souvent contrastées des différents Membres.
La pêcherie de krill génère-t-elle des captures accessoires ?
Étant donné que les filets utilisés dans la pêcherie de krill ne sont pas remorqués le long du fond marin, la capture accessoire est beaucoup moins importante que dans les autres pêcheries au chalut. Il existe néanmoins un niveau relativement faible de capture accessoire de poissons. C'est un sujet sur lequel les observateurs scientifiques* collectent des données afin de déterminer l'ampleur du problème et comment il pourrait être évité.
Il y a quelques années, des cas d'otaries piégées dans des filets de pêche au krill ont été signalés. En conséquence, les filets utilisés dans la pêcherie de krill doivent désormais être équipés d'un « dispositif d'exclusion » qui empêche les otaries de s’emmêler dans le filet. Ces dispositifs sont généralement constitués d'une rampe qui laisse passer le krill, mais qui pousse les otaries vers une trappe d’échappement située en haut du filet. Depuis que la CCAMLR exige la présence sur les filets de ces dispositifs d'exclusion des otaries, plus aucun cas d’emmêlement n'a été signalé.
*Tous les navires pêchant le krill sont tenus d'avoir à bord un observateur scientifique pendant une certaine partie du temps de pêche.
À quelle profondeur le krill est-il pêché ?
Le krill est capturé avec des chaluts pélagiques. Ce sont des chaluts qui ne touchent pas le fond marin mais qui sont utilisés à des profondeurs allant jusqu'à 200 m, voire quelquefois jusqu'à 600 m. La profondeur de pêche tend à suivre un schéma assez régulier. En effet, elle est plus importante de jour que de nuit lorsqu'elle est conditionnée par la migration verticale du krill vers la surface. De même, des changements saisonniers de la répartition bathymétrique du krill font que la pêche a tendance à être plus profonde en hiver qu'en été. Les changements de la profondeur à laquelle est pêché le krill suivent un schéma similaire à ceux observés dans le comportement de plongée chez les prédateurs de krill tels que les manchots et les otaries. Cela peut être très utile pour nous renseigner sur la dynamique écosystémique tout au long de l'année.
Lequel des deux modes de pêche suivants est le moins nuisible pour l'environnement : le chalutage en continu ou le chalutage traditionnel ?
Cette question suppose que ces deux méthodes de pêche sont nuisibles pour l'environnement, ce qui correspond plus a un jugement de valeur plutôt qu'à un jugement fondé sur des données scientifiques. En effet, l'impact d'une quelconque activité de pêche sur l'environnement ne peut être jugé uniquement sur la durée d'immersion d'un filet, ce qui constitue la principale différence entre ces deux modes de pêche. La façon de capturer le krill n'est qu'un élément parmi toutes les composantes de la pêcherie de krill. Le choix des filets, la profondeur de pêche, le type de krill, le type de traitement à bord et le type de produit pour une capture donnée diffèrent tous en fonction du navire.
Existe-t-il des preuves scientifiques de liens entre le déclin de certaines espèces de manchots et la pratique de la pêche au krill ?
En bref, non. Rien ne prouve à l'heure actuelle que les changements observés sur les populations d'espèces de manchots quelles qu'elles soient puissent être attribués à la pêche au krill. Cela ne veut pas dire que la CCAMLR n'est pas concernée par ces déclins documentés des populations de manchots, car ils indiquent clairement que des changements profonds sont en cours. Déterminer si ces changements sont dus au changement climatique, aux effets à long terme de l'exploitation par le passé (pré-CCAMLR) ou aux activités actuelles de pêche demeure au cœur du débat scientifique.
Combien y-a-t-il de krill dans l'océan Austral ?
Il est très difficile de répondre à cette question car l'abondance de krill est très variable au cours d'une même année ou d'une année à l'autre. En moyenne, il est estimé que la biomasse se situe entre 60 et 420 millions de tonnes, la meilleure estimation étant actuellement de 389 millions de tonnes. Cependant, cette estimation repose essentiellement sur nos connaissances passées sur l'aire d'habitat du krill. Par le passé, on pensait que l'habitat du krill se situait dans les 200 m supérieurs de la colonne d'eau, mais des éléments de plus en plus nombreux semblent indiquer que le krill fréquenterait régulièrement le fond marin à des profondeurs abyssales. Les nouveaux moyens technologiques nous permettent désormais de découvrir une grande quantité de biomasse de krill dans des endroits auxquels les scientifiques n'ont jamais pensé. Il nous reste encore à appréhender la dynamique et l'importance de ce krill des profondeurs et sa relation avec la population de surface.
Comment estime-t-on l'abondance de krill ?
En fait, l'abondance de krill est estimée par une mesure de la biomasse plutôt que par un comptage des individus de la population. Pour mesurer la biomasse de krill, nous procédons à des prospections hydroacoustiques. Les navires se déplacent le long d'une série de radiales et enregistrent au moyen d'échosondeurs les signaux sonores renvoyés par le krill dans l'eau. Des chalutages dirigés sont également menés en parallèle pour vérifier la composition de ces signaux sonores afin de déterminer quelle proportion doit être attribuée au krill. Sur la base de cette information et d'une série d’équations, les signaux sonores sont alors convertis en abondance de krill. La CCAMLR dispose d'une série de protocoles standards rigoureux qui s'appliquent aux méthodes acoustiques afin d’accroître l'exactitude de l'estimation de la biomasse et de réduire au maximum les incertitudes.
Quelles sont les espèces antarctiques qui se nourrissent de krill ?
De nombreuses espèces antarctiques se nourrissent de krill, entre autres :
- Les manchots (à jugulaire, Adélie, empereur, papou ou royal ou le gorfou macaroni ou sauteur)
- Les phoques (otarie, phoque crabier ou de Weddell, éléphant ou léopard de mer)
- Les baleines mysticètes
- La plupart des espèces de poissons
- Les calmars
- Les albatros et la plupart des autres espèces d'oiseaux marins volants.
Quelle quantité de krill les prédateurs tels que les manchots, les phoques ou les baleines ingèrent-ils ?
Tout comme la question sur la quantité de krill dans l'océan Austral, cette question est vraiment difficile. Les scientifiques en débattent depuis un certain temps déjà en assemblant les pièces d'un puzzle très complexe. Même ce qui semble apparemment simple comme compter le nombre de manchots et estimer la quantité de krill qu'ils consomment est en fait très difficile ; La possibilité d'utiliser les satellites pour dénombrer les manchots depuis l'espace est un progrès prodigieux. Néanmoins, une analyse menée en 2007 par Simeon Hill et ses collègues semble indiquer que les poissons consomment en fait beaucoup plus de krill que les manchots et les baleines réunis. Pour obtenir une estimation de la consommation totale, il faut un grand nombre d'estimations individuelles or chacune d'elles est entourée d'une certaine incertitude. Lorsque l'on fait la somme de toutes les estimations, on fait également celle des incertitudes (ce qui peut vouloir dire que les chiffres définitifs sont difficiles à utiliser en gestion). Plutôt que de tenter d'obtenir une estimation absolue de la consommation totale de krill, nous utilisons des indicateurs tels que la nature du régime alimentaire, le comportement de recherche de nourriture et le succès reproductif pour déceler des changements dans la consommation relative de krill.
Que veut dire « recrutement » et quels facteurs déterminent le niveau de recrutement ? Savons-nous où se trouvent les nurseries de krill ?
Dans les modèles de population, nous utilisons le terme « recrutement » pour décrire le processus par lequel les jeunes individus rejoignent la population adulte. Dans le cas du krill, le recrutement se produit lorsque une larve de krill se développe et survit pendant l'hiver avant de rejoindre la population adulte le printemps suivant. Le niveau de recrutement s'exprime généralement en recrutement proportionnel, ce qui correspond à la proportion d'individus d'un an par rapport aux individus de deux ans et plus. Le krill utilise l'habitat créé sous la glace pour survivre au premier hiver. En effet, la face inférieure de la glace favorise la croissance d'algues dont le krill peut se nourrir et constitue donc une aire de nourrissage pour le krill larvaire. Par ailleurs, la production d'algues sous la glace au début du printemps accélère la croissance du krill adulte après la période hivernale pendant laquelle la nourriture est limitée. Lors du retrait des glaces de mer, une efflorescence phytoplanctonique favorise la croissance et la maturation ovarienne du krill pour la période de reproduction en été. La séquence et l’époque de ces processus dans la zone de glaces saisonnières sont les facteurs clés du succès de recrutement de krill et de l'abondance ultérieure de ce dernier.
En quoi est-il prévu que le changement climatique et l'acidification des océans influencent l'abondance du krill et la répartition de ce dernier ?
Étant donné que le cycle vital du krill est étroitement lié aux glaces de mer, la réduction des glaces de mer à l'avenir pourrait entraîner une diminution de son habitat et de son abondance. De plus, il est prévu que le réchauffement entraîne vers les pôles une réduction des zones d'habitat pouvant favoriser la croissance du krill. En effet, la baisse de la température des eaux de mer pourrait vouloir dire que le krill aurait besoin de plus d’énergie pour vivre, ce qui aurait un effet négatif sur sa capacité de croissance. Les œufs de krill sont sensibles à l'acidification des océans. D'après les projections de la distribution de CO2 dans l'océan Austral, certains habitats de krill importants pourraient ne plus convenir au recrutement dans les 100 prochaines années. Il est prévu que ces changements environnementaux agiront de concert pour modifier l'abondance, la répartition et le cycle biologique du krill.